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Comics
(14 août 2005)

"Une Interview exclusive de John Romita"

publiée dans Strange n°109 à 111, janvier à mars 1979

     QUESTION : Si nous commençions par le commencement, John Romita ?

     J. ROMITA : Okay. Je suis né en 1930. Brooklyn, durant la fameuse crise... Mon père fit de son mieux pour élever ses cinq gosses avec très peu d'argent. On me mit à l'école communale et, dès l'âge de cinq ou six ans, je fus passionné de dessin. Tout le monde m'encouragea en me prodigant des compliments du genre "Bien, formidable!". Quand j'étais encore à l'école élémentaire, je me souviens avoir passé tout un trimestre à dessiner sans relâche pour décorer les couloirs ; et, lorsque nous donnions des représentations théâtrales, c'est moi qui brossais les décors. Un jour, j'ai réalisé une immense peinture murale sur un rouleau de papier d'emballage. Je faisais aussi des dessins à la craie sur les trottoirs des rues de Brooklyn ; j'ai reproduit entre autres la Statue de la Liberté ; j'avais commencé par dessiner la torche... et tout le reste a suivi ; mon oeuvre avait quelque trente mètres de longueur !

     Q. : A quel âge aveze-vous commencé à lire des comics ?

     J.R. : J'avais huit ans à la sortie du N°1 de SUPERMAN qui fit une énorme impression sur moi. J'en achetai deux exemplaires ; j'en gardai un bien enveloppé dans un sac en papier, sachant d'instinct que je tenais là quelque chose de précieux. L'autre me servit de modèle pour dessiner Superman en couleurs. Je me souviens aussi du tout premier DAREDEVIL et des débuts de George Tuska. Ensuite le PRINCE DES MERS, LA TORCHE HUMAINE et CAPTAIN AMERICA sortirent respectivement en 1938, 1939 et 1940. je devins bien sûr un fan de Kirby dont les personnages étaient d'un tel réalisme qu'ils semblaient être en chair et en os. Mon plus grand regret est d'être né dix ans trop tard... et de n'avoir pu, comme Jack être, un des pionniers des comics.

     Un jour, j'entendis parler de l'Ecole d'Art Industriel de New York. En fait, deux écoles s'offraient aux artistes en herbe : celle de Musique et d'Art, celle d'Art Industriel. La première ne formait qu'aux Beaux-Arts, or, moi, ce qui m'intéressait, c'était le dessin commercial... Peut-être dans l'espoir qu'il me permettrait de gagner beaucoup d'argent ! Je désirais devenir dessinateur de bande dessinée ; mon idole était Milton Caniff, auteur de TERRY ET LES PIRATES. Mais je restais aussi un fan de Jack Kirby.

     J'entrai donc à l'Ecole d'Art Industriel. Mais on n'y donnait aucun cours sur la B.D...., sans doute par manque d'élèves ou de professeurs... J'eus pour maître un des meilleurs professeurs du monde : Howard Simon dont je suivis le cours pendant un an. Puis je me suis lancé dans l'illustration de livres, ce qui fut pour moi une expérience fort utile.
     Je suivis ensuite un cours d'illustration de magazines ; le professeur était un excellent dessinateur nommé Ben Clements qui eut une énorme influence sur moi.

     Q. : Et à votre sortie de l'Ecole ?

     J.R. : En 1947, après avoir obtenu mon diplôme, je travaillai pendant six mois pour un médecin et j'organisai une exposition dans un hôpital. Je fis tout par moi-même, les dessins, les cadres... et je n'avais alors que dix-sept ans. Cela ne me rapporta pas beaucoup d'argent mais ce fut une expérience très enrichissante. J'appris à faire tout aussi bien des schémas d'anatomie que du lettrage, des décors, etc. Résultat, six médecins me demandèrent d'illustrer un ouvrage qu'ils étaient en train d'écrire. Mais pas un seul manuscrit ne fut achevé avant la fin de l'exposition. Comme j'avais besoin de gagner ma vie, j'entrai dans un atelier de lithographie pour un salaire de vingt-cinq dollars par semaine. Je faisais des étiquettes de Coca Cola, du chewing-gum... Mais vu mon jeune âge, pour le même salaire de misère, il me fallait aussi faire des livraisons, nettoyer l'atelier, etc. Cela me permit tout de même de parfaire mon apprentissage. Au bout de trois ans, je rencontrai un ancien camarade de l'Ecole d'Art Industriel qui était devenu encreur de comics. Il travaillait pour Stan Lee. Nous étions en 1949.

     Q. : Quel était au juste son travail ?

     J.R. : Il faisait un peu de tout pour Stan : romans policiers, récits de guerre. En outre, comme il s'était constitué une énorme liste d'éditeurs dont il connaissait par coeur les numéros de téléphone et les secrétaires, il pouvait trouver du travail comme il voulait. Il me demanda de faire les crayonnés de dessins qu'il encrerait ensuite ; puis il présenterait ceux-ci comme étant de son cru. C'est ainsi que, pendant six mois, je travaillai pour Stan, mais sans qu'il n'en sache rien.

     Q. : Aviez-vous déjà perfectionné votre style ?

     J.R. : Pas vraiment mais je décidai de quitter l'atelier de lithographie où l'on me payait trop mal. Désormais, en deux soirées, je gagnais déjà plus qu'en une semaine dans mon ancienne boîte.

     Puis vint le temps de mon service militaire. Sur la recommandation d'un ami, je fus envoyé sur l'Ile du Gouverneur pour y faire des affiches de recrutement. Je travaillai d'arrache-pied pendant dix semaines, après quoi je fus libre de sortir de l'île chaque fois que je le voulais. Je suis allé me présenter à Timely Comics (futur Marvel) ; je dis à la secrétaire de Stan que j'avais déjà travaillé pendant six mois pour lui sous un autre nom ; on me remit un scénario à illustrer ; j'en fis les crayonnés et la secrétaire me demanda d'encrer. C'était un travail nouveau pour moi, mais Stan me dit que je m'en étais très bien tiré. Ce devait être en Octobre 1951.

     Q. : N'avez-vous pas d'anecdote sur cette époque de votre vie ?

     J.R. : Si ! Un jour de 1952, toujours militaire, j'entrai dans le bureau de Stan en uniforme. Tout le monde me dévisagea, se demandant : "Qui est ce beau soldat ?". On me prenait pour un visiteur !
     Tout en poursuivant mon service militaire, il fut entendu que je dessinerais pendant mes heures de loisir, pendant les week-ends, à l'heure des repas... cela me permettrait de doubler ma solde. Et je commençai à me faire un nom. Je dessinais aussi des affiches pour les centres de recrutement et je les signais... en lettres aussi grosses que possible.

     A cette même époque, j'avais alors 22 ans, je fis de la mise en couleurs pour les meilleurs dessinateurs de l'époque : Briggs et Stephen Donahos, et Al Parker. Le travail que je fis pour ce dernier eut l'heur de lui plaire. Il affirma que mon dessin n'avait pas besoin d'être retouché. Quel compliment ! Jamais je ne m'étais senti aussi fier. Je fis beaucoup de mise en couleurs ces deux années-là.

     Q. : Avez-vous fait votre service militaire avant ou après Stan ?

     J.R. : Après. Lui l'a fait juste après la Seconde Guerre Mondiale, moi en 1951, au moment de la Guerre de Corée. Il s'en fallut de peu que je ne fusse envoyé là-bas. Mais je fis mes dix-huit mois sur l'Ile du Gouverneur.

     Q. : Vous souvenez-vous de votre première rencontre avec Stan ?

     J.R. : Oui, il me fit une forte impression et se montra très encourageant. Mon travail de débutant l'enthousiasma, il loua le réalisme du dessin, la force du style. J'ai dû me faire pas mal d'ennemis parmi les autres dessinateurs à qui il avait demandé le même travail... et qui le firent en deux fois plus de temps.

     Q. : Vous êtes resté longttemps à Timely Comics ?

     J.R. : De 1951 à 1957. Durant cette période je crois avoir touché à tout et j'ai ainsi acquis un énorme bagage. J'étais de plus en plus payé, en somme tout allait très bien. C'est en 55 que cela commença à se gâter. La télévision nous faisait une concurrence terrible et je devais travailler de plus en plus dur pour gagner deux fois moins. Et, en 1957, Stan dut me licencier, Timely ne sortait plus que deux magazines, on n'avait plus de travail pour moi.

     Q. : Qu'avez-vous fait, alors ?

     J.R. : Je trouvai un job chez National, pour illustrer deux ou trois histoires dont je faisais également les couvertures. Malheureusement, j'étais complètement oublié, car chez National, on ne signait pas son travail. john Verpoorten m'avoua qu'il m'avait cru mort ! Et puis, brusquement en 1965, nouveau licenciement.

     Q. : C'est alors que vous êtes retourné chez Marvel ?

     J.R. : Oui. Je n'aurais jamais pensé retravailler pour Stan. Durant les huit ans que je passai chez National, il m'avait relancé à deux reprises mais je ne lui cachai pas que je n'accepterais de revenir chez Marvel qu'à condition d'être mieux payé. Lorsque je fus de nouveau au chômage, je lui passai un coup de fil, il m'accueillit les bras ouverts. C'était en 1965.

     Q. : A cette époque, Marvel commençait à prendre son essor, n'est-ce pas ?

     J.R. : Ca marchait déjà très fort. Les FANTASTIQUES se vendaient très bien, suivis de très près par l'ARAIGNEE ; les autres magazines ne cessaient de progresser. Don Heck faisait IRON MAN et les VENGEURS et Jack Kirby continuait sur sa lancée. Il était entendu avec Stan que je serais seulement encreur ; j'encrai donc les VENGEURS sur des crayonnés de Heck. Stan, satisfait de mon travail, me demanda de retoucher un DAREDEVIL qu'on lui avait soumis, et bientôt c'est moi qui en fis les crayonnés. Pour les deux premiers épisodes, je me fis conseiller par Jack Kirby car j'avais gardé un style un peu trop "roman d'aventures".

     Q. : Et Kirby fut un bon maître ?

     J.R. : Excellent. Je fis de rapides progrès. En outre, chaque fois qu'on me confiait une nouvelle histoire, Stan m'expliquait en long et en large comment je devais m'y prendre. C'était certes une perte de temps mais c'était très profitable. Il y avait longtemps que je n'avais pas travaillé avec un tel enthousiasme. En dépit d'un travail difficile, je me sentais renaître.

     Peu à peu, DAREDEVIL faisait son chemin. Ses ventes augmentaient, ce qui est toujours bon signe. Puis Stan me demanda d'étudier de près la trentaine de numéros de l'ARAIGNEE existant à ce jour afin de me familiariser avec le personnage... au cas où j'aurais à le prendre en main. Et deux ou trois mois plus tard, il nous annonça que Steve Ditko quittait Marvel. Et il me confiait l'ARAIGNEE. A l'époque, le Tisseur de Toile venait en numéro deux pour les ventes. En l'espace de trois ou quatre mois, il se hissa au premier rang. J'acquis dès lors la réputation de porter bonheur aux histoires que j'illustrais.

     Puis, ce fut le tour de Jack de quitter Marvel et je dus m'attaquer aux FANTASTIQUES. A l'annonce du départ de Jack, j'avais d'abord pensé qu'on serait obligés d'abandonner les FF, personne ne me semblait capable de prendre sa succession. je fis tout de même cinq épisodes et, grâce à l'encrage de John Verpoorten et Joe Sinnott, je pense m'être approché du style original. Et puis John Buscema vint nous soulager de ce lourd fardeau.

     Je repris alors l'ARAIGNEE. Les conférences de rédaction étaient vraiment démentielles ; Stan suggérait un scénario et, pour se faire mieux comprendre, il gesticulait et criait en usant du langage et des expressions du personnage. Pour les femmes et les vilains, il changait de voix. Il fallait voir alors les réactions des visiteurs qui attendaient dans le hall ! Puis il me confia le rôle de superviser l'ARAIGNEE. Je bâtissais le scénario avec lui et John Buscema, Don Heck ou Jim Mooney se chargait des crayonnés. Puis Gil Kane dessina l'histoire dont je fus l'encreur. Enfin, il y a environ six ans, je devins directeur artistique. Je devais m'assurer que les dialogues de couverture étaient bien dans le style Marvel. J'exerce toujours cette fonction mais je me repose de plus en plus sur Marie Severin, qui est capable de faire un peu n'importe quoi.

     Q. : Quels sont vos projets pour l'avenir ?

     J.R. : Je pense que l'ARAIGNEE m'accaparera de plus en plus ; mon poste de directeur artistique me plaît beaucoup et je n'aime pas changer sans cesse. Et je pense continuer à illustrer le travail de Simon & Schuster sur les ORIGINES DE MARVEL.

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